3 Questions à Meriem Fournier, Présidente du Centre INRAE Nancy Grand Est

Date: 
09/09/21

En janvier 2020, l’Inra (créée en 1946) et l’Irstea fusionnent pour donner naissance à l’INRAE, l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement, regroupant 12 000 chercheurs sur le territoire national. Cette union témoigne de la conception interdisciplinaire de l’établissement, estimant que la recherche agronomique ne peut être menée qu’avec une approche environnementale. Son approche globale des rapports entre l’Homme et son environnement s’illustre dans sa contribution au sein de réseaux de recherche internationaux, au moyen de laboratoires ou d’infrastructures partagés. Si l’institut présidé par Philippe Mauguin rayonne au niveau mondial, son engagement dans une médiation scientifique revendique un ancrage territorial régional, grâce aux liens tissés entre les centres régionaux et les acteurs sociétaux, locaux. Partenaire de Science&You 2021, l’INRAE centre Grand Est – Nancy sera présent au forum professionnel le 18 novembre prochain, au Centre des Congrès Robert Schuman de Metz. Nous avons rencontré Meriem Fournier, Présidente du Centre INRAE Nancy Grand Est.

 

Sur son site internet, l’INRAE titrait en janvier 2020 « On n’a jamais eu autant besoin de recherche ». Plus d’un an après, quel bilan établir de cet appel ?

Clairement, il s’agit d’un besoin de long terme, notamment dans les champs de compétence d’INRAE – agriculture, alimentation, environnement - qui ne s’est pas éteint en 2020, au contraire. Nous pouvons de moins en moins faire confiance à notre expérience et à nos habitudes dans un monde qui change très/trop vite avec des tendances comme le réchauffement climatique, ponctuées de crises, sanitaires, climatiques, économiques ... La recherche ne peut certainement pas résoudre les problèmes à elle toute seule mais elle se doit d’apporter son potentiel de créativité et d’invention et surtout ses capacités d’analyse et d’expérimentation pour traiter l’information, anticiper les crises et prendre les bonnes décisions. La pandémie COVID mais aussi le dernier rapport du GIEC nous l’ont clairement rappelé en 2021. Aujourd’hui l’information est accessible à tous sans limites grâce à internet. Tous peuvent alors revendiquer prendre part à la décision dans un climat général de méfiance des experts et des élites. Si on veut tenir les grands principes de la démocratie, il est indispensable de faire monter les citoyens en compétence pour permettre à tous de participer au débat de façon pertinente. Il ne faudrait pas remplacer le pouvoir des experts et des élites par celui des émotions irrationnelles et des réseaux d’influence. La démarche scientifique pour résoudre les problèmes sociétaux n’est pas une solution miracle, mais elle porte des valeurs de rigueur dans l’analyse et la prise d’information ainsi que et de transparence qu’il est indispensable de développer dans toute la société.

L’épanouissement des sciences et recherches participatives est l’un des grands desseins de l’INRAE. Grâce à ce mode collaboratif, il s’agit de communiquer sur le processus de recherche scientifique, et non seulement sur ses résultats : est-ce là un moyen d’accroître la confiance et l’intérêt des citoyens à l’égard de la science ?

Ce grand dessein est désormais présent non seulement à INRAE mais aussi dans la Loi de Programmation de la Recherche et nous nous en réjouissons. Sur le centre Grand est Nancy, notre engagement dans les sciences participatives avec nos partenaires académiques comme l’Université de Lorraine et associatifs de l’éducation à l’environnement est ancien. Grâce à Pascale Frey-Klett, microbiologiste et directrice de recherche INRAE, créatrice de la plate-forme « Tous chercheurs en Lorraine » qui fonctionne depuis 10 ans, nous faisons aujourd’hui figure de pionniers reconnus, même si les moyens affectés et la reconnaissance des personnels impliqués restent encore très/trop faibles.

Notre expérience est que les sciences participatives se pratiquent à différents niveaux. Avec d’abord un enjeu de communication pour améliorer la confiance du citoyen dans ce en quoi nous nous croyons, la capacité de la recherche publique à analyser et résoudre des problèmes au profit de toute la société. Mais aussi un enjeu de co-création qui va bien au-delà de la communication. La recherche participative, c’est quand le chercheur peut compter sur les compétences des citoyens pour faire la science ensemble. Cela commence par le citoyen qui aide à collecter des données en démultipliant ainsi l’accès de la recherche à l’information. Mais bien au-delà de cette instrumentalisation du citoyen collecteur de données, les sciences participatives peuvent concevoir des questions de recherche utiles à la société que les chercheurs n’auraient pas su imaginer seuls. Ainsi par exemple, dans notre projet CiTIQUE sur la prévention des maladies à tiques, c’est grâce aux idées des citoyens que les chercheurs ont commencé à étudier le rôle des animaux de compagnie dans la transmission et l’alerte de la progression des maladies.

On constate aussi qu’au-delà de leur capacité à créer des connaissances nouvelles, les sciences participatives sont l’occasion d’expériences humaines enthousiasmantes : dans nos stages Tous Chercheurs, des enseignants du secondaire découvrent les compétences de leurs élèves ; des élèves qui ne sont pas les meilleurs du système scolaire se révèlent et se passionnent pour la découverte scientifique ; nos stages citoyens font travailler ensemble plusieurs générations entre 8 et 80 ans, ils valorisent la coopération entre des aptitudes variées, ceux qui sont bons pour inventer, pour formaliser hypothèses et démarches, pour communiquer des résultats, ou pour faire manuellement (l’habileté manuelle et l’intelligence pratique sont très importantes dans l’activité de recherche). Au final, ces interactions humaines contribuent beaucoup à accroître la confiance et l’intérêt des citoyens pour la science.

Comment favoriser le dialogue entre les citoyens et les scientifiques ? Cela influe-t-il sur le rôle et les missions du médiateur, « vulgarisateur » ?

Il y a toute une pédagogie des sciences à réinventer, à l’école mais aussi avec toutes les couches sociales des adultes, les « citoyens » curieux, décideurs ou professionnels. Cela passe en effet par de nouveaux modèles organisationnels d’interaction entre chercheurs et « grand public ». Nous avons commencé par des stages pour les scolaires où l’objectif était de leur faire découvrir la démarche scientifique sur des questions à enjeux comme la qualité de l’eau. Grâce au projet CiTIQUE, nous avons accru nos ambitions, avec désormais des stages où les citoyens participent à la découverte scientifique en analysant le contenu infectieux des tiques mordeuses collectées par d’autres citoyens et en participant à la mise en forte de résultats scientifiques inédits. Au-delà des temps forts de stages ponctuels, il y a aussi des enjeux d’interactions à distance via les réseaux sociaux, les MOOC …  Rapidement, le public engagé n’est pas seulement composé de scolaires ou de bénévoles curieux, mais aussi d’entrepreneurs, qui voient dans la démarche un potentiel d’innovation et de développement. A la suite de nos stages de laboratoire CiTIQUE, nous venons de mettre en place de nouvelles thématiques sur la qualité des sols et les pratiques agroécologiques avec des agriculteurs professionnels ou amateurs. Avec l’appui des collectivités et du territoire d’innovation « Des Hommes et des Arbres », nous visons des stages sur la forêt pour répondre à de fortes attentes du grand public, les propriétaires et les professionnels. Dans tous les cas, nous nous appuyons sur des facilitateurs associatifs et des médiateurs animateurs ayant à la fois une bonne maitrise de la démarche scientifique (peu importe la discipline) et la capacité de porter ce changement de posture qui déconstruit le stéréotype du savant. Nous sommes alors engagés avec l’Université de Lorraine sur la formation de ces médiateurs.

Le facteur majeur de ces nouvelles interactions science société, c’est le changement de posture du chercheur qui n’est plus le sachant qui ramène sa science devant le public qui écoute et apprend, mais celui qui partage ses connaissances et ses compétences pour que l’intelligence collective avec toute la diversité des participants s’engage dans une démarche scientifique et créative ; Avec formulation de la question à résoudre et des hypothèses, mise en œuvre d’une démarche d’expérimentation ou d’observation, analyse et publication des résultats. Ce changement de posture demande des espaces particuliers de type « tiers lieux ». Notre infrastructure Tous Chercheurs en Lorraine met pour cela à disposition des espaces fonctionnels, des moyens d’analyse et d’expérimentation, un modèle d’organisation et de médiation.

Cela demande aussi de bien formaliser les rôles avec de nouveaux métiers. Pour cela, en bons scientifiques, nous nous appuyons sur une démarche réflexive où les sciences participatives deviennent l’objet de recherche des sciences de la médiation et de l’innovation. Nous avons commencé développer cette démarche à INRAE Grand Est Nancy avec des équipes de l’Université de Lorraine. Notre force est d’avoir une expérience concrète déjà ancienne et diversifiée des pratiques de recherche participatives.

Concrètement, la conclusion est que nous avons besoin de médiateurs et de facilitateurs plus que de vulgarisateurs. Notre expérience est que ces nouveaux métiers et fonctions stimulent certains chercheurs rebutés par le côté « tour d’ivoire déconnectée du monde réel » et « compétition entre pairs » de la recherche. Ils sont un débouché attractif pour certains jeunes scientifiques formés par la recherche mais plus attirés par la médiation que par la recherche.