3 questions à Lionel Maillot, membre du Comité Scientifique

Date: 
18/01/21

Rencontre avec Lionel Maillot, chercheur associé au laboratoire CIMEOS de l’Université de Bourgogne, membre du Comité Scientifique du colloque et du comité de pilotage du sondage.

Factuel : que représente pour vous le colloque de médiation scientifique Science&You ?

Lionel Maillot : "Pour moi, c’est un lieu et un moment crucial de connexion entre les chercheurs qui étudient la communication et les praticiens de la communication scientifique.

En tant que praticiens, médiateurs ou journalistes nous sommes friands de discussions autour de nos pratiques : comment mieux communiquer avec les publics ? quels outils utiliser ? quelles difficultés ? etc.  Nous organisons des webinaires, des colloques, des journées d’études et nous échangeons sur les réseaux sociaux, mais cela n’est pas toujours suffisant…

À un moment de ma carrière de médiateur, j’ai basculé dans le monde de la recherche et exploré les travaux liés à l’engagement des chercheurs dans la communication scientifique. Ceci m’a montré l’importance d’appuyer mes réflexions de médiateur sur la recherche. Des travaux distanciés, de sociologues, de chercheur.e.s en sciences de l’information et de la communication ou encore de psychologues peuvent à la fois éclairer des difficultés de la communication scientifique et en même temps requestionner quelques implicites bien ancrés dans nos pratiques de médiateurs ou dans la communication des scientifiques.

Science and You est un excellent lieu pour se requestionner (d’où notre idée de thème proposant « un pas de côté… ») en assistant à des présentations diverses de chercheurs, de praticiens venus du monde entier, et en dialoguant. L’effet est également fondamental pour la communauté de chercheurs en « SciComm ». Ils connectent leurs travaux à des pratiques et à des réflexions qui peuvent également « bouger » leur façon de penser la communication scientifique."

 

Factuel : quel est l’enjeu aujourd’hui du dialogue entre sciences et société ?

Lionel Maillot : "Tout d’abord, il est impossible de répondre à cette question en quelques lignes, il faudrait mobiliser de nombreux travaux et points de vue !

Il y a toujours eu de multiples enjeux au dialogue sciences-société et les questions émergentes dans les médias et réseaux sociaux (covid, vaccins, climat) ne doivent pas nous faire oublier des enjeux pérennes, non moins politiques, liés à ce dialogue. L’émancipation ou le lien social sont par exemple des dimensions fondamentales de la culture scientifique. Ces enjeux sont moteurs pour impulser des contacts fréquents entre spécialistes et généralistes. Travailler ces dimensions permet de consolider un contexte de compréhension mutuelle. Il me semble risqué de focaliser l’attention au dialogue dans le seul contexte de sujets socialement vifs. Quant à la situation actuelle, pour faire le lien avec la question précédente, on peut à nouveau s’instruire grâce à des travaux scientifiques sur la communication publique des sciences. Dès les années 1980, dans le milieu anglo-saxon comme en France, des changements de paradigme de communication scientifique sont proposés pour appréhender les dimensions sociales de la recherche et ne pas seulement centrer la communication sur des enjeux d’alphabétisation scientifique. On parle de « Public Understanding of Research » ou encore de « Science en train de se faire » en France. L’idée de communiquer l’incertain est une préoccupation centrale. Montrons la recherche « chaude » écrivait Bruno Latour en comparaison avec la science « froide ». Mais, la volonté d’instruire, de communiquer sur les résultats de la science (ou sur une méthode devenue froide) portée implicitement par bon nombre de scientifiques communicants est régulièrement pointée par des dizaines d’études. Dans l’espace public, elle induit une frilosité à aborder les questions d’incertitudes liées à des dimensions sociales de la recherche. Il est clair que développer un savoir-faire autour de la communication de cette incertitude, intégrant des postures ouvertes (j’y reviendrai), est nécessaire dès lors que l’on aborde des sujets comme la vaccination."

 

Factuel : comment vulgariser pendant une crise sanitaire où tout est dématérialisé ?

Lionel Maillot : "Dans l’espace public, il me semble risqué de penser une communication qui ne modifierait qu’un des protagonistes. Seul le « récepteur » serait touché par le message d’un émetteur imperturbable. Pour remédier à cela, on pense alors à l’émergence de modèles de dialogue ou de sciences participatives. Mais attention : les dispositifs ne font pas tout. Je parlerais plutôt de posture d’écoute nécessaire ou, plus en amont encore : de compréhension de l’“intérêt de l’écoute”. Mon travail de thèse sur les effets de la vulgarisation sur des jeunes chercheurs m’amène à leur faire découvrir et ressentir les intérêts de s’ouvrir à l’autre par une communication relationnelle. On peut alors s’engager dans une action de vulgarisation qui suivra peut-être un modèle descendant, mais avec en tête l’envie d’être poreux aux savoirs et ressentis de l’autre. Cette posture, si elle est rendue possible par la situation de communication, n’est pas sans effet pour les publics qui s’ouvrent également. Nous avons pu observer quelques expériences allant dans ce sens lors de rencontres numériques de vulgarisation cette année* . L’effet de dématérialisation est tout de même très préoccupant, car c’est bien lors de certaines rencontres humaines, de proximité, visage à visage, que des porosités apaisantes et motrices entre personnes qui parlaient de sciences et de société avaient principalement été remarquées."

 

* J’espère qu’en novembre, lors de Science & You, nous aurons du recul et des observations présentées pour penser ces expériences de communication numérique.